Il fait gris ce matin.

Il fait gris ce matin. L’envie d’écrire, mais ma tête est un peu vide. Elle résonne, creuse, dans le silence douloureux que j’essaie de remplir. Un soupir sur le bout des lèvres et on se sert du café. Toujours la même histoire, la même chanson qui tourne encore et encore dans le récit humain. Un auto-sabotage à grande échelle. Mais bon, c’est pas grave, il faut bien avancer et continuer de danser. The show must go on, mustn’t it ? 

Alors on lit et on écrit, parce que dans les crises, il faut bien se rattacher à notre humanité, à s’accrocher à ce qu’on peut. Bon. Je vais écrire ici ce que je pense vraiment, pour de vrai. Je vais continuer. Et je vais faire ce que je veux de ma petite vie qui est venue sans que je ne lui ai rien demandé du tout. L’angoisse je vais la terrasser et lorsque je serai vieille je lui rirai au nez. J’aime à penser que je suis forte et têtue et combative. Peut-être que je me mens à moi-même, peut-être pas. Alors je vais continuer à écrire, à aimer, à être en colère, à parfois être désespérée et j’emmerde le reste. De toute façon c’est ça la vie, c’est à la dure. Et j’aime la vie, de tout mon cœur, vraiment, sincèrement, parce que dispersés dans la merde, il y a ces moments de splendeur, de vibrance. Le plus triste dans cette histoire c’est qu’on fait partie des plus chanceux. C’est tellement désespérant ce dernier constat que tout ce que l’on peut faire c’est en rire. Jaune, vert, ironiquement, sans joie, mais en rire quand même. Alors sur ma face, un sourire tordu pour le reste du monde. Je suis désolée pour vous.

Tout ce qui se passe en ce moment, dans le monde entier, sur plusieurs niveaux, ça donne le tournis, n’est-ce pas ? Mais après tout c’est aussi ça l’humanité, un joyeux désordre de haine, d’amour, de colère, de créativité, de construction et de destruction. Est-ce que ça veut dire qu’on est prisonniers d’un cercle vicieux qui se répète encore et encore ? Cent ans de solitude, on est en plein dedans Monsieur Garcia Marquez, félicitations vous l’avez écrit.

Bon eh bien, on va quand même faire quelque chose non ? On va pas rester sur nos cul avec des yeux ronds comme des soucoupes en attendant que ça se passe quand même ? Je sais, c’est désespérant, un pas en avant, deux en arrière. Ce fichu césar que j’ai toujours en travers de la gorge. On sucre les droits sur l’avortement par là-bas. L’extrémisme monte depuis des années sur plusieurs plans et dans tous les “camps”, partout dans le monde et ici aussi. Le capitalisme semble avoir un stade de non retour, l’écologie également. Les inégalités déjà très creusées ne font que se marquer de plus en plus. La misère humaine gagne encore du terrain, comme une gangrène dans notre espèce. En France, autre part, tout partout. Une décapitation, des attentats. La peur et la violence qui en découlent. Un rappel de ce qui se passe dans des pays lointains. Des camps encore et toujours. Les pires personnes au pouvoir qui résistent beaucoup trop bien à la maladie tandis que le reste crève. Des mauvaises plantes qui restent toujours debout pour bouffer les autres. Les autres épidémies et pandémies dont on s’en branle parce que ça ne nous a pas touché. On s’est un peu trop cru dans une bulle de sureté. Et puis encore et toujours cette fichue hypocrisie. On décrasse un problème pour retrouver une montagne de merde. On prend les mêmes et on recommence. Les mêmes mécaniques se mettent en branle, presque implacables. Cent ans de solitude je vous dis.

Mais je m’en fous. Je pense quand même que ça vaut la peine d’écrire, de jouer des pièces, de parler, de rencontrer autrui. J’ai peut-être pas la foi religieuse, mais j’en ai une autre, celle qu’on peut avoir un impact, aussi petit soit-il. Et, au fond, on arrive pas à voir la grande image, peut-être qu’on va y arriver à ce que tout le monde comprenne qu’au final on est de la même espèce. Si identiques dans nos différences : ça devrait être une richesse. Appelez-moi idéaliste, je m’en fiche ; s’il n’y a pas d’espoir et d’envie de combattre, il reste quoi ? Je pourrais, comme d’autres, m’en battre totalement les reins du reste du monde, mais apparemment j’y arrive pas, je suis pas faite comme ça. Alors j’écris sur mon petit blog quand j’en ai envie ou quand je veux partager des lectures parce que je ne suis pas grand chose pour l’instant, juste une petite fourmi dans cette énorme fourmilière. Mais là encore, j’en ai plus rien à battre. C’est pas très poli, ni très joli, mais c’est les mots qui sortent. 

On m’a une fois dit qu’il fallait un minimum d’inconscience dans la vie, sinon on deviendrait fou. Je pense que c’est vrai, mais que ça peut être dangereux aussi. Tout est question d’équilibre non ? Vivre pleinement sa vie tout en en se bougeant les fesses, tout en réfléchissant sur ce qui se passe autour. Après tout c’est pas si compliqué que ça de réfléchir, de questionner et de modérer un peu certaines choses. Non ?

Soutenons-nous et nourrissons notre esprit : faisons naître des projets et avançons, appréhendons les situations complexes que l’humanité engendre depuis toujours partout. Ne jamais se reposer sur nos acquis : apprendre toujours en toute humilité. Tout ce que je sais, c’est que je ne sais pas, n’est-ce pas ? 

De toute façon on a que ça à faire : il faut bien avancer. Peut-être que je me répète. Appelez moi naïve et idéaliste, mais j’aimerais qu’on le fasse ensemble tous ces combats. Parce que seuls je ne vois pas ce qu’on peut faire, à part crever dans notre coin.

L&C

Confinement

Quelle drôle de période ! Comment retranscrire en mots ces derniers mois ? Est-ce nécessaire au vu de toutes les paroles qui circulent déjà, si différentes les unes des autres ? Peut-être pas. Mais écrire permet de poser l’esprit et de prendre du recul sur sa propre pensée. Alors me voici, malgré les doutes et le manque de confiance.

Ce fut étrange d’être si éloignés, mais de se rapprocher comme on peut. De s’aimer de loin. Si tactile, le contact des êtres chers et amis me manquent comme l’oubli d’une chose importante que l’on n’arrive pas à se rappeler. Cette pause fut d’une demie teinte douce-amère où les ami.e.s manquaient ; où, cependant, une forme d’angoisse a pu être comprise et mise de côté quelques temps, pendant qu’une autre, moins personnelle, prenait toutefois sa place. La réflexion a pu se refaire une place, le repos fut retrouvé avec le soulagement de l’assoiffée qui boit, enfin. Je suis moi à nouveau ; je me reconnais pour de bon, finalement.

 Se stopper soudain par cette pause forcée et pouvoir, enfin, soulever la culpabilité de ne pas en faire assez pour ça, ça et encore ça. Cela a pris du temps, mais après quelques semaines, le souffle est revenu et l’anxiété est partie un peu en vacances. Pas le choix de prendre le temps, puisque tout était bloqué. Je n’étais plus la seule qui stagnait. Ce n’était donc plus de ma faute. Malgré cela, il faut avouer que la charmante culpabilité de la non productivité à chaque seconde de chaque journée est restée ancrée, bien profondément dans les recoins de ma cervelle, les premières semaines. 

N’est-ce pas étrange que ce besoin absolu de productivité, même dans les loisirs, alors qu’il faut très souvent du temps pour bien faire certaines choses ? Cette pression de toujours faire plus jusque dans les lectures personnelles, l’apprentissage d’un loisir ? Cette impatience de tout lire, tout vivre, tout faire, tout comprendre du premier coup ; comme si il fallait se jeter à corps perdu dans une compétition absurde avec soi-même pour être à chaque instant utile, digne d’intérêt pour soi et les autres. Parce que sinon, au fond, si je m’arrêtais deux minutes, peut-être découvrirai-je que je suis médiocre. Vacillation au bord de son propre gouffre.

Tout cela pour, finalement, un jour, se retrouver sans plus rien pouvoir lire, plus rien pouvoir écrire, et même ne plus pouvoir penser. Paradoxale, qu’est cette peur de ne pas trouver une place dans cette société qui nous dégoûte par tant de choses. Je reste interdite face à ce contresens, qui révèle des peurs enfantines de solitude, de ne pas être aimée et de ne pas être à sa place, ainsi que celle-ci, terrifiante, l’angoisse de perdre.

L’ennui est, en effet, un luxe. Un luxe angoissant, où on n’a pour compagnie que nos propres pensées, où on ne peut que, soudainement, être confronté à ce que nous pouvons bien être comme personne exactement, dans le fond. On se regarde enfin, on s’observe avec nos peurs, nos angoisses, nos méchancetés, nos maladresses, nos gentillesses, nos affections, nos erreurs et tout le reste. Soudainement en pause, on revient sur les années passées, on passe en revue et on pense au reste de la vie qui va bien finir par arriver, alors même que le futur se fait attendre avec une coquetterie dont on prend affront. On se rend soudain compte que, peut-être, on veut tout en même temps et que ce n’est pas comme cela que la vie fonctionne. Que ce n’est pas très grave si il faut prendre le temps pour se construire, pour créer, pour vivre. Alors, on imagine des projets futurs, ce que l’on veut entreprendre depuis longtemps. On pense que l’on aimerait sentir, qu’enfin, on a une voix et qu’on en mérite une. Le désir de parler se fait ressentir. Pour la première fois depuis longtemps, on écrit un peu plus qu’un peu. Je redécouvre la mélodie de mon esprit et des mots qui coulent.

Bien sûr, l’angoisse de l’après est toujours là, le manque de contrôle s’est fait ressentir pour beaucoup de gens. La tristesse aussi, sur plusieurs points, pour les autres. La colère de l’hypocrisie, de cette mauvaise gérance des hôpitaux – qui se retrouve également dans d’autres secteurs si importants – et du secteur des soins datant de plusieurs années, de ces personnes qui, avec de jolis mots, ont réussi à se déresponsabiliser, à s’attribuer certains mérites du travail acharné d’autrui et de ces attaques aux autres qui, comme nous, géraient la situation sûrement du mieux qu’ils pouvaient. L’indignation de voir tous ceux qui ne sont jamais évoqués, et qui, à chaque crise sociétale, se prennent les premières vagues de malheur. On voit à nouveau, mis à nus, les rouages et les failles d’un système qu’on aimerait parfois vomir. A côté de cela : l’impuissance, on est dépassé, on ne sait plus quoi faire ni que dire.

Il y a eu également des mouvements d’entraides qui ont réchauffés les cœurs, des personnes qui ont travaillés d’arrache-pieds pour tous. De l’amour et de l’amitié envoyés dans tous les sens. C’était beau, mais l’inquiétude subsiste : et si ce n’était pas assez ?

On ne sait pas à quoi s’attendre pour l’après, dans tous les cas, les mois prochains ne seront ni heureux, ni sans soucis. Peut-être, cependant, certaines choses changeront, mais ne soyons pas d’un optimisme extrême, on a déjà eu du mal à se relever des déceptions et des indignations passées, ne grandissons pas le pouvoir des futures. Pourtant, l’envie de faire est toujours là, ainsi que la présence et l’amitié de personnes fantastiques qui alimentent l’espoir. Faisons donc.

L&C