Confinement

Quelle drôle de période ! Comment retranscrire en mots ces derniers mois ? Est-ce nécessaire au vu de toutes les paroles qui circulent déjà, si différentes les unes des autres ? Peut-être pas. Mais écrire permet de poser l’esprit et de prendre du recul sur sa propre pensée. Alors me voici, malgré les doutes et le manque de confiance.

Ce fut étrange d’être si éloignés, mais de se rapprocher comme on peut. De s’aimer de loin. Si tactile, le contact des êtres chers et amis me manquent comme l’oubli d’une chose importante que l’on n’arrive pas à se rappeler. Cette pause fut d’une demie teinte douce-amère où les ami.e.s manquaient ; où, cependant, une forme d’angoisse a pu être comprise et mise de côté quelques temps, pendant qu’une autre, moins personnelle, prenait toutefois sa place. La réflexion a pu se refaire une place, le repos fut retrouvé avec le soulagement de l’assoiffée qui boit, enfin. Je suis moi à nouveau ; je me reconnais pour de bon, finalement.

 Se stopper soudain par cette pause forcée et pouvoir, enfin, soulever la culpabilité de ne pas en faire assez pour ça, ça et encore ça. Cela a pris du temps, mais après quelques semaines, le souffle est revenu et l’anxiété est partie un peu en vacances. Pas le choix de prendre le temps, puisque tout était bloqué. Je n’étais plus la seule qui stagnait. Ce n’était donc plus de ma faute. Malgré cela, il faut avouer que la charmante culpabilité de la non productivité à chaque seconde de chaque journée est restée ancrée, bien profondément dans les recoins de ma cervelle, les premières semaines. 

N’est-ce pas étrange que ce besoin absolu de productivité, même dans les loisirs, alors qu’il faut très souvent du temps pour bien faire certaines choses ? Cette pression de toujours faire plus jusque dans les lectures personnelles, l’apprentissage d’un loisir ? Cette impatience de tout lire, tout vivre, tout faire, tout comprendre du premier coup ; comme si il fallait se jeter à corps perdu dans une compétition absurde avec soi-même pour être à chaque instant utile, digne d’intérêt pour soi et les autres. Parce que sinon, au fond, si je m’arrêtais deux minutes, peut-être découvrirai-je que je suis médiocre. Vacillation au bord de son propre gouffre.

Tout cela pour, finalement, un jour, se retrouver sans plus rien pouvoir lire, plus rien pouvoir écrire, et même ne plus pouvoir penser. Paradoxale, qu’est cette peur de ne pas trouver une place dans cette société qui nous dégoûte par tant de choses. Je reste interdite face à ce contresens, qui révèle des peurs enfantines de solitude, de ne pas être aimée et de ne pas être à sa place, ainsi que celle-ci, terrifiante, l’angoisse de perdre.

L’ennui est, en effet, un luxe. Un luxe angoissant, où on n’a pour compagnie que nos propres pensées, où on ne peut que, soudainement, être confronté à ce que nous pouvons bien être comme personne exactement, dans le fond. On se regarde enfin, on s’observe avec nos peurs, nos angoisses, nos méchancetés, nos maladresses, nos gentillesses, nos affections, nos erreurs et tout le reste. Soudainement en pause, on revient sur les années passées, on passe en revue et on pense au reste de la vie qui va bien finir par arriver, alors même que le futur se fait attendre avec une coquetterie dont on prend affront. On se rend soudain compte que, peut-être, on veut tout en même temps et que ce n’est pas comme cela que la vie fonctionne. Que ce n’est pas très grave si il faut prendre le temps pour se construire, pour créer, pour vivre. Alors, on imagine des projets futurs, ce que l’on veut entreprendre depuis longtemps. On pense que l’on aimerait sentir, qu’enfin, on a une voix et qu’on en mérite une. Le désir de parler se fait ressentir. Pour la première fois depuis longtemps, on écrit un peu plus qu’un peu. Je redécouvre la mélodie de mon esprit et des mots qui coulent.

Bien sûr, l’angoisse de l’après est toujours là, le manque de contrôle s’est fait ressentir pour beaucoup de gens. La tristesse aussi, sur plusieurs points, pour les autres. La colère de l’hypocrisie, de cette mauvaise gérance des hôpitaux – qui se retrouve également dans d’autres secteurs si importants – et du secteur des soins datant de plusieurs années, de ces personnes qui, avec de jolis mots, ont réussi à se déresponsabiliser, à s’attribuer certains mérites du travail acharné d’autrui et de ces attaques aux autres qui, comme nous, géraient la situation sûrement du mieux qu’ils pouvaient. L’indignation de voir tous ceux qui ne sont jamais évoqués, et qui, à chaque crise sociétale, se prennent les premières vagues de malheur. On voit à nouveau, mis à nus, les rouages et les failles d’un système qu’on aimerait parfois vomir. A côté de cela : l’impuissance, on est dépassé, on ne sait plus quoi faire ni que dire.

Il y a eu également des mouvements d’entraides qui ont réchauffés les cœurs, des personnes qui ont travaillés d’arrache-pieds pour tous. De l’amour et de l’amitié envoyés dans tous les sens. C’était beau, mais l’inquiétude subsiste : et si ce n’était pas assez ?

On ne sait pas à quoi s’attendre pour l’après, dans tous les cas, les mois prochains ne seront ni heureux, ni sans soucis. Peut-être, cependant, certaines choses changeront, mais ne soyons pas d’un optimisme extrême, on a déjà eu du mal à se relever des déceptions et des indignations passées, ne grandissons pas le pouvoir des futures. Pourtant, l’envie de faire est toujours là, ainsi que la présence et l’amitié de personnes fantastiques qui alimentent l’espoir. Faisons donc.

L&C

2 commentaires sur “Confinement

Laisser un commentaire