De l’amour, de l’éducation et un château

Je me suis lancée dans la lecture de Mauprat de George Sand sans rien savoir de l’intrigue, en confiance totale, pour accompagner mes deux amies qui préparent l’agrégation de l’année prochaine. Cela m’a très bien réussi, étant donné que ce fut un deuxième coup de cœur littéraire pour le mois de mai. J’avais déjà lu Le meunier d’Angibault de l’autrice, et si j’avais déjà beaucoup aimé ; je fus, cependant, complètement emportée par Mauprat et par les thématiques que le roman évoque avec finesse. Je vais tenter de vous retracer mes impressions dans cette chronique.

Mauprat c’est une histoire d’éducation, d’apprentissage et d’amour. Le roman retrace l’histoire de Bernard de Mauprat, qui, après la mort de sa mère, se retrouve à grandir dans la branche principal de sa famille – au château de la Roche-Mauprat, composée uniquement d’hommes violents et cruels dans le Berry. Vivant comme des seigneurs, ils terrorisent le voisinage. Bernard grandit dans cet environnement malsain entre mauvais traitements et brigandage. Un soir, Edmée de Mauprat, issue de la deuxième branche de la famille – à la vie beaucoup plus honnête – se perd et se fait piéger dans la Roche-Mauprat. Les oncles de Bernard poussent ce dernier à la violer. Alors qu’il tombe amoureux d’elle, elle le convainc cependant de ne pas le faire et il s’échappe avec elle, profitant d’une attaque de la maréchaussée contre sa famille. Il vit ensuite aux côtés d’Edmée et de son père, le chevalier, qui entreprennent d’éduquer le jeune homme.

Cette première branche des Mauprat est la représentation d’une vision sinistre et un peu fantasmée du système féodal. Incultes, sombres et pleins de violences, ils sont coupés du reste du fonctionnement de la France et de la société française. Ils sont également un véritable contraste avec Edmée, son père et ce que va devenir Bernard.

« Excepté le petit nombre de féaux que nous traitions bien et qui nous étaient dévoués, nous étions de plus en plus isolés et sans ressources. Le pays d’alentour avait été abandonné à la suite de nos violences. La frayeur que nous inspirions agrandissait chaque jour le désert autour de nous. » (Édition numérique de la bibliothèque électronique du Québec, chapitre 6, p. 78)

C’est dans cette atmosphère que l’on commence à découvrir le personnage de Bernard. Un personnage haut en couleur, plein de passion, qui m’a, tour à tour, beaucoup irritée et attendrie. Le lecteur suit sa vie et, surtout, son évolution. Une évolution que j’ai trouvé fascinante et qui illustre parfaitement les propos de Sand sur l’éducation : « en attendant une éducation, commune à tous, et cependant appropriée à chacun, attachez-vous à vous corriger les uns les autres. » (Chapitre 30, p.622)

Le premier contact avec Bernard se fait dans un sentiment à demi-teinte, entre pitié et crainte pour le personnage qui vit dans un environnement très sombre, mais qui comprend plus ou moins que certaines violences sont méprisables :

« Dans l’absence de tout principe de morale, il eut été naturel que je me contentasse de celui du droit du plus fort, que je voyais mettre en pratique ; mais les humiliations et les souffrances qu’en raison de ce droit mon oncle Jean m’imposait m’avaient appris à ne pas m’en contenter. Je comprenais le droit du plus brave, et je méprisais sincèrement ceux qui, pouvant mourir, acceptaient la vie au prix des ignominies qu’on leur faisait subir à la Roche-Mauprat. Mais ces affronts, ces terreurs, imposées à des prisonniers, à des femmes, à des enfants, ne me semblaient expliqués et autorisés que par des appétits sanguinaires. Je ne sais si j’étais assez susceptible d’un bon sentiment pour qu’ils m’inspirassent de la pitié pour les victimes, mais il est certain que j’éprouvais ce sentiment de commisération égoïste qui est dans la nature, et qui, perfectionné et ennobli, est devenu la charité chez les hommes civilisés. » (Chapitre 2, p.37)

L’éducation passe par la culture, la lecture, l’enrichissement au contact des autres et la construction continue de sa conscience. On voit tout cela à travers l’évolution progressive de ce personnage qui apprend peu à peu la différence entre les désirs face à la beauté, puis la frustration et l’amour véritable d’une personne pour ce qu’elle est, pour ses qualités. Il découvre aussi ce qu’autrui peut lui apporter, par les rencontres et les amitiés qui peuplent sa vie. Je pense ici aux personnages de Patience, de Marcasse, de l’abbé et d’Arthur. Je les ai tous adoré et, de manière générale, je trouve que George Sand représente à la perfection ce qu’est une bonne amitié et l’amour, qui poussent à l’enrichissement personnel et nous tirent vers une meilleure version de nous-même, tout en nous soutenant pendant les pires épreuves de la vie.

Si Bernard m’a irritée de très nombreuses fois pendant le récit, je me suis tout de même attachée à lui et j’ai été vraiment fascinée par son évolution et les changements par lesquels passe sa relation avec Edmée.

« Bernard, votre amour est plein d’exigences contradictoires. L’inconséquence est, d’ailleurs, le propre de tous les amours humains. Les hommes s’imaginent que la femme n’a point d’existence par elle-même et qu’elle doit toujours s’absorber en eux, et pourtant ils n’aiment fortement que la femme qui paraît s’élever, par son caractère, au-dessus de la faiblesse et de l’inertie de son sexe. […] Sachez donc distinguez l’amour du désir ; le désir veut détruire les obstacles qui l’attirent, et il meurt sur les débris d’une vertu vaincue ; l’amour veut vivre, et, pour cela, il veut voir l’objet de son culte longtemps défendu par cette muraille de diamant dont la force et l’éclat font la valeur et la beauté » (Chapitre 14, p. 340 à 341)

J’ai adoré Edmée. Elle ne se laisse pas faire, reste loyale à ses idées, à ses valeurs et est pleine de culture. Dès le début, elle n’hésite pas à remettre Bernard à sa place. Son personnage m’a émue à de nombreuses reprises. Elle offre une dynamique parfaite avec Bernard, et, comme le jeune homme, le lecteur ne peut complètement se prononcer sur ses sentiments jusqu’à ce qu’ils soient clairement énoncés.

J’ai également beaucoup apprécié les personnages secondaires qui tentent de nuire à Bernard. Détester Jean de Mauprat et mademoiselle Leblanc fut un plaisir. Je trouve d’ailleurs que même les personnages « négatifs » et antipathiques sont très bien traités par l’autrice, avec des nuances subtiles. Le manichéisme complet n’a pas sa place dans le récit, et à travers le développement de la pensée de Bernard, tous les personnages gagnent en complexité.

Le personnage de Patience et son rapport aux mots et à la poésie m’a beaucoup touchée. Cela m’a un peu rappelée ma découverte de la lecture, des histoires et de la littérature ; et surtout, de la force des mots. J’aimerais vous partager un extrait qui m’a émue et qui, je trouve, résonne encore avec force aujourd’hui :

« Depuis que je sais qu’il est permis à l’homme, sans dégrader sa raison, de peupler l’univers et de l’expliquer avec ses rêves, je vis tout entier dans la contemplation de l’univers ; et, quand la vue des misères et des forfaits de la société brise mon cœur et soulève ma raison, je me rejette dans mes rêves ; je me dis que, puisque tous les hommes se sont entendus pour aimer l’œuvre divine, ils s’entendront aussi, un jour, pour s’aimer les uns les autres. Je m’imagine que, de père en fils, les éducations vont en se perfectionnant. Peut-être suis-je le premier ignorant qui ait deviné ce dont il n’avait aucune idée communiquée du dehors. Peut-être aussi que bien d’autres avant moi se sont inquiétés de ce qui se passait en eux-mêmes et sont morts sans en trouver le premier mot. Pauvres gens que nous sommes ! » (Chapitre 10, p. 193)

J’y ai retrouvé, dans les paroles de Patience, mon propre rapport à la littérature, qui permet tout à la fois, de se recentrer sur les choses importantes, de nourrir sa conscience, son esprit critique et sa vision du monde, ainsi que de s’ouvrir à l’inconnu et à d’autres vies.

En dehors du propos sur l’éducation, Mauprat est un récit haletant avec une narration très bien construite et efficace. C’est Bernard Mauprat lui-même qui raconte son histoire et qui décide ce qu’il veut dire ou pas aux deux jeunes hommes qui l’écoutent :

« Voilà, je crois, dit le vieux Mauprat, tous les évènements de ma vie où Edmée joue un rôle. Le reste ne vaut pas la peine d’être raconté. S’il y a quelque chose de bon et d’utile dans ce récit, profitez-en, jeunes gens. Souhaitez d’avoir un conseiller franc, un ami sévère ; et aimez non pas celui qui vous flatte, mais celui qui vous corrige. […] Ne croyez pas à la fatalité, ou du moins n’exhortez personne à s’y abandonner. » (Chapitre 30, p. 619)

J’aime vraiment beaucoup l’écriture de George Sand, qui n’hésite pas à faire passer sa pensée par des phrases piquantes. D’autres passages sont vraiment très beaux et émouvants, décrivant les sentiments du personnage avec justesse. J’ai adoré la lettre d’amour que Bernard adresse à Edmée, si belle et pleine de douleur. Certains moments du récit, se passant à la Roche-Mauprat, m’ont fait penser au registre du gothique.

« Le terroir est au centre de la vie de George Sand comme il est au cœur de son œuvre. Qu’il soit appréhendé géographiquement, affectivement, ou sur le plan de l’imaginaire et de la symbolique, ce morceau de pays à force d’intimité et d’intériorisation nourrit et construit l’imaginaire de la romancière, et finit par exprimer sa vision du monde, sa dimension d’être. Ce terroir sandien, dans ce qu’on a l’habitude d’appeler les romans rustiques semble se construire principalement en marge de l’histoire. »[1]

« George Sand aime son Berry pour les raisons inverses qui lui faisaient admirer les Alpes ou les Pyrénées. La nature du Berry ne propose pas de spectacles grandioses. C’est une nature abordable, modeste, faite de mesure et d’harmonie. » [2]

On retrouve tout cela dans Mauprat : la campagne du Berry a une grande place dans le récit et on y voit une vie simple et tranquille à travers la famille d’Edmée, ainsi qu’avec Patience. Lorsque dans le roman, Bernard et Edmée sont à Paris et en société, le personnage principal finit par mépriser ce monde, qui l’attirait néanmoins au départ :

« Les privilégiés de la société donnaient ardemment les mains de la ruine prochaine de leurs privilèges, par mécontentement de ce que les rois les avaient restreints. Ils élevaient leurs fils dans des principes constitutionnels, s’imaginaient qu’ils allaient fonder une monarchie nouvelle où le peuple les aiderait à se replacer plus haut que le trône ; et c’est pour cela que les plus grandes admirations pour Voltaires et les plus ardentes sympathies pour Franklin furent exprimées dans les salons les plus illustres de Paris. Une marche si insolite, et, il faut le dire, si peu naturelle, de l’esprit humain, avait donné une impulsion toute nouvelle, une sorte de vivacité querelleuse aux relations froides et guindées des vestiges de la cour de Louis XIV. Elle avait aussi mêlé des formes sérieuses et donné une apparence de fond aux frivoles manières de la régence. » (Chapitre 12, p.290)

« […] jamais on ne vit tant de grave babil, tant de maximes creuses, tant de sagesse d’apparat, tant d’inconséquences entre les paroles et la conduite, qu’il s’en débita à cette époque parmi les castes soi-disant éclairées. Il était nécessaires de vous rappeler ceci pour vous faire comprendre l’admiration que j’eus d’abord pour un monde en apparence si désintéressé, si courageux, si ardent à la poursuite de la vérité ; le dégoût que je ressentis bientôt pour tant d’affectation et de légèreté, pour un tel abus des mots les plus sacrés et des convictions les plus saines. » (Chapitre 12, p.291)

Ces salons, remplis de belles paroles sans réel fond, mettent d’autant plus en valeur leur vie à la campagne. La campagne et le Berry étaient déjà centraux dans Le Meunier d’Angibault. À travers mes – très – rapides recherches, j’ai vu que ce sont des lieux communs importants dans les œuvres de George Sand tout au long de sa vie.

Mauprat fut donc un véritable coup de cœur pour moi. J’ai trouvé cet ouvrage beau et riche, tant dans le fond que dans la forme. Happée par le récit, j’avais tout de suite envie d’y retourner dès que je laissais ma lecture un peu de côté et les personnages d’Edmée et de Bernard sont encore restés dans mon esprit plusieurs jours après avoir achevé la lecture de l’ouvrage. Je le conseille avec enthousiasme à tout le monde. Il y a certainement encore beaucoup de choses à dire sur ce roman, j’espère vous avoir donné envie de le découvrir par vous-même.


[1] PEYLET, Gérard. Terroir et histoire dans l’œuvre de George Sand In : George Sand : Terroir et histoire [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006 (généré le 13 juin 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/7799&gt;. ISBN : 9782753531635. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.7799.

[2] Ibid.

Des dragons, des légendes et une jeune femme

« Au royaume de Firgaard, les légendes sont interdites: elles sont dangereuses. Pourtant, le sort d’Asha, princesse solitaire, leur semble étroitement lié. Asha est une tueuse de dragons crainte par tout son peuple: elle est Iskari.
Farouche, vulnérable, Asha trace sa route au cœur d’un univers dur et merveilleux. »

Bonjour, bonsoir ! Une revenante est parmi vous ! J’ai eu envie de reprendre ce blog, complètement délaissé pour cause d’études et de manque de motivation, je l’avoue. J’espère réussir à le tenir à partir de maintenant.

Je reviens pour vous parler d’un roman qui m’a été conseillé et prêté par une amie : le premier tome d’Iskari ; Asha, tueuse de dragons, écrit par Kristen Ciccarelli. Il s’agit d’un ouvrage de fantasy dans la collection jeunesse de Gallimard, dont j’apprécie tous les derniers romans que j’ai lus ces derniers temps, comme Le Dragon au cœur de chocolat (une perle), de Stéphanie Burgis, ou encore la succulente série de Christelle Dabos que tout le monde connaît maintenant : La Passe-Miroir (oui j’attends le 28 Novembre avec enthousiasme et impatience héhé). L’histoire d’Iskari me donnait envie, je l’ai donc commencé avec un très grand enthousiasme. J’ai eu raison de faire confiance à mon amie et à cette collection, parce que j’ai vraiment beaucoup aimé ce roman et je trouve que l’on peut parler de beaucoup d’éléments amenés dans cet ouvrage.

En quelques pages seulement j’ai été entraînée dans l’univers et l’intrigue, tous deux très bien construits. Le monde tissé par l’autrice m’a complétement séduite. J’ai adoré le lien entre les dragons, le pouvoir de ces derniers et les histoires et légendes de l’univers. D’ailleurs, j’ai trouvé que les histoires, qu’elles tournent autour du personnage principal, Asha, ou que ce soit de légendes de son peuple, étaient extrêmement bien amenées dans le récit et dans l’intrigue. Elles permettaient de donner toutes les clés de compréhension en évitant une narration qui aurait pu être lourde. En effet, ces histoires, qui sont principalement celles qu’Asha raconte aux dragons, sont disposées au fur et à mesure des chapitres, comme des petites parenthèses, comme si Asha nous racontait directement ces histoires. Ainsi, lorsqu’un personnage ou un autre fait référence à l’une de ses histoires quelques pages plus loin, et que l’intrigue avance, le lecteur comprend parfaitement de quoi il est question sans que dans la narration il y ait le besoin de développer en long, en large et en travers.

De plus, l’importance des histoires et des légendes, la puissance et l’impact qu’elles peuvent avoir sur un peuple, sur ses croyances et sur l’imaginaire est très bien montré dans ce roman et m’a beaucoup touché. Le livre explore la profondeur de la puissance que peuvent avoir les mots à travers les dragons et Asha, mais aussi dans la politique menée par le gouvernement du père d’Asha, le roi de Firgaard et ses prédécesseurs avant eux. Le roman touche alors, de manière très intelligente, aux thématiques de la propagande, de légitimation de crimes contre l’humanité (un peuple, les skrals, sont réduits en esclavages) et du contrôle de la population.

La dualité de la thématique du mensonge et de la vérité, mêlée au sujet de la famille, est aussi centrale dans l’histoire d’Asha. Ainsi, tout au long du livre, le lecteur la regarde évoluer tout en tentant de dépêtrer la vérité dans un fouillis de mensonges. Cette dualité rejoint aussi la complexité du sentiment de culpabilité lié, lui-même, aux notions de bien, de mal, de liberté, mais aussi d’amour et de haine des autres et de soi-même. Les dimensions évoquées au travers des personnages et de l’intrigue s’imbriquent les unes aux autres et enrichissent le récit et sa profondeur. Cette évolution et cet enrichissement est, à mon sens, très bien représenté par le personnage d’Asha. On voit littéralement sa manière de réfléchir et de voir son monde, sa famille, ses relations et sa propre personne évoluer au fil des pages. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé toute la symbolique de la figure de l’Iskari et de celle du Namsara, qui certes parlent du bien, du mal et de héros, mais qui donnent aussi une belle vision sur le rapport que l’on peut entretenir avec nous-même et sur comment on peut se définir d’une manière ou une autre. Pour moi, il s’agit aussi d’une quête d’identité et de la complexité que notre perception de notre propre personne peut revêtir, qui, de plus, peut s’avérer extrême.

L’intrigue, en soi, n’est pas extrêmement originale ou surprenante, mais tout est très bien construit et écrit. Je ne me suis pas ennuyée une seule fois, je n’ai trouvé aucun élément long ou en trop. Les personnages aussi sont bien construits et leurs réactions à certaines choses et événements sont vraisemblables. Ainsi, j’ai parfaitement ressenti le dégoût d’Asha à l’encontre de l’insuportable et violent Jarek, mais aussi son attachement envers sa cousine Safire et son frère Dax, pour lesquels elle s’inquiète constamment dans le récit.

Et puis, vient bien évidemment le personnage de Torwin, ancien esclave de Jarek, et sa relation avec Asha. La future romance est évidente dès les premières pages du livre, rassurez-vous ceci n’est donc pas un véritable spoil. Cette relation est extrêmement mignonne et touchante. Elle se construit au fil des pages, avec la confiance et la tendresse qui grandit entre les deux personnages, et j’avoue, j’ai complétement fondue ! La romance n’alourdit pas le récit et n’empêche pas Asha de faire ce qui lui semble le plus juste et son devoir. Elle apporte même une nouvelle dimension au personnage d’Asha, qui, dès le début, est montrée comme une machine à tuer les dragons.

Je peux aussi évoquer la relation qu’Asha avait avec sa défunte mère, que l’on découvre au fur et à mesure et qui m’a énormément émue. Cette relation, étroitement liées aux histoires et à leur portée, est vraiment belle, ce qui est aussi très triste étant donné qu’elle n’existe plus que dans les souvenirs de la jeune femme.

En conclusion, j’ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Il m’a passionnée le temps de ma lecture et j’ai hâte que la traduction du tome 2 arrive en France. Je le conseille avec enthousiasme ! Toutefois, je ne pense pas qu’il soit adapté aux enfants assez jeunes, avant le collège par exemple, parce qu’il y a tout de même quelques scènes assez violentes. Je voulais préciser ce point car il n’y a pas vraiment d’âge écrit sur la couverture ou la page intérieur de couverture et que dans cette collection il y a une grande variété de roman, allant d’un ton très jeunesse à des récits comme celui-ci, plus adolescent.

L&C

Une histoire d’amour, Téhéran et un auteur

Je vais vous raconter l’histoire d’amour de Sara et Dara. Comment s’aimer en Iran, quand toute rencontre entre les deux sexes est proscrite? Rencontre interdite à vivre comme à écrire… Voilà également mon histoire d’écrivain, une histoire d’amour avec les mots, semée d’embûches. Car dans mon pays, lorsqu’il s’agit d’amour, toujours la censure vieille… Ensemble, nous allons la déjouer!

   J’ai découvert En censurant un roman d’amour iranien grâce à une amie – Cocolanoix – qui me l’a prêté, puis donné [encore un grand merci plein d’amour à elle !]. Il a patienté quelque temps chez moi avant que je ne m’y plonge. Et le seul regret que j’ai maintenant, c’est de ne pas l’avoir commencé avant. J’ai dégusté ce livre comme j’aurais pu manger une excellente tarte à la rhubarbe !

   Il faut d’abord vous parler de la structure du roman, que, je trouve, est vraiment bien construite. On a là l’histoire d’un écrivain qui écrit son roman d’amour en essayant de contourner la censure, et en parallèle se déroule, s’érige phrase par phrase ; sous les yeux du lecteur et de l’auteur ; l’histoire d’amour de Sara et Dara. J’ai alors été totalement prise par deux histoires différentes, dépendantes l’une de l’autre, se touchant sans se toucher. J’ai aussi adoré le fait que l’histoire de l’auteur et celle des personnages conversent l’une avec l’autre, et ce, de plus en plus jusqu’au point culminant du roman. On peut alors voir la relation forte qu’entretient l’auteur avec ses personnages. Je dois d’ailleurs avouer que mon petit cœur a vibré au rythme de la relation de Sara et Dara.

   Je me suis d’ailleurs énormément attachée aux personnages que j’ai trouvés vraiment riches, passionnants et surtout touchants. Ils évoluent et sont vivants. J’ai surtout aimé celui de Sara, qui aspire à la liberté et autour duquel tous les autres personnages vont peu à peu graviter. La relation entre l’auteur et Petrovitch est aussi très intéressante. J’ai vraiment été passionnée par chacun d’entre eux et j’avais l’impression d’être auprès d’eux. Le fait que l’auteur nous parle directement crée une proximité entre lui et le lecteur.

   Le ton qu’il emprunte pour le récit est à la fois drôle, critique et tendre. Cela m’a beaucoup plu. Il interrompt quelque fois le double récit pour nous expliquer des petits morceaux de littérature et d’histoire de l’Iran, sans que cela ne coupe trop brutalement l’histoire. Il critique ainsi, dans un mélange de tendresse et de mélancolie, la censure, les combats déçus mais aussi la place qui est attribuée aux femmes dans une société assez étouffante pour une jeunesse bouillonnante. Il montre ainsi ce qui ne va pas avec humour, mais on sent tout de même que l’auteur aime profondément son pays et son histoire. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé l’espoir qui émane de ce roman à la fin.

   Ce livre, je l’ai aussi ressenti comme une véritable déclaration d’amour au pouvoir du roman, des mots et des sous-entendus. On découvre la complexité de la syntaxe et de la recherche de vocabulaire pour faire naître une histoire. On assiste au contorsionement linguistique de l’auteur pour faire comprendre ce qu’il veut au lecteur tout en passant la terrible barrière de M. Petrovitch ; qui peut interdire la publication du roman d’amour, et de la censure. Mais on découvre aussi la censure sous d’autres formes : la censure des images et de leur symbolisme ; celle du corps de la femme aussi, celle de l’amour et de l’érotisme. Le livre, c’est aussi dans ce récit, ce qui permet la rencontre et la relation de Dara et Sara. C’est ce qui permet de faire naître un message à la fois clair et caché pour le lecteur et son imagination. J’ai adoré toute cette dimension, ainsi que le fait que l’auteur montre clairement que le lecteur participe à la lecture et n’est absolument pas passif.

   Grâce à tous ces éléments, j’ai trouvé que ce roman était vraiment bien construit et très bien écrit. Il m’a fait rire, grimacer et vibrer. Je l’ai lu le plus lentement possible pour l’apprécier aussi longtemps que je le pouvais. Et puis, un facteur des plus importants pour moi, il m’a fait voyager au cœur même de Téhéran, dans un pays et une ville que je connais très peu. Je le relirai très certainement et le conseille vivement à tout le monde.

L&C

 

 

Challenge #2 : L’Amour donne des ailes

   Après deux mois très chargés en examens, maladies et événements en tout genre pour Cocolanoix et moi, on a enfin réussi à poster cet article – très en retard certes, mais mieux vaut tard que jamais non? Bonne lecture!

Hardy-Thomas-Loin-de-la-foule-déchaînée1   Avant que mon amie Cocolanoix ne me conseille Loin de la foule déchaînée de Thomas Hardy, j’avoue que je n’avais pas trop envie de le lire. J’avais vu un bout du film de Thomas Vinterberg et je n’avais pas du tout apprécié. Cependant, vu son enthousiasme et ayant une confiance aveugle en ses goûts livresques je l’ai donc acheté dès la première occasion dans une librairie d’occasion, avant qu’il ne dorme paisiblement dans ma bibliothèque comme la plupart de mes livres. Et puis, arrive le mois de février et son thème sur la romance. Je cherchais quelque chose qui puisse me mettre de bonne humeur et Cocolanoix me conseille (à nouveau) cette œuvre. Je m’y suis donc plongé sans trop savoir à quoi m’attendre ; et je ne regrette absolument pas. J’ai énormément aimé ce roman.

   Le récit se concentre essentiellement sur la psychologie et l’évolution des relations de quatre personnages : Batsheba et Oak bien sûr, mais aussi le fermier Boldwood et le sergent Troy. Suivre la construction de ces personnages a été pour moi un véritable délice. Ils sont tous quatre très bien exploités et leurs sentiments se complexifient au fur et à mesure qu’avance l’intrigue. J’ai adoré le personnage d’Oak, il est beaucoup trop adorable. Il est à la fois juste et humble, c’est aussi un appui sans faille pour Batsheba, malgré le traitement souvent froid qu’elle lui inflige. Tellement que j’ai souvent été frustrée qu’il ne lui crie pas un peu dessus. Batsheba m’a souvent agacé, mais cela ne m’as pas empêché de m’y attacher énormément. J’ai vraiment apprécié le fait qu’elle soit à la fois très forte, mais qu’elle ait aussi ses moments de faiblesses. Je l’ai trouvé très humaine et surtout, vraiment convaincante. Boldwood m’a aussi beaucoup plu et surtout m’a fait ressentir un grand panel d’émotion. J’étais tour à tour triste, désolée puis en colère contre lui. Enfin, je ne peux pas dire que j’ai aimé le personnage de Troy, c’est quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il veut et qui blesse les autres à cause de cela et déjà dans la réalité ce genre de personne, qui n’ont pas beaucoup de considération pour les autres, m’agacent beaucoup. Ça s’est bien entendu ressenti dans ma lecture. Je ne l’ai pourtant pas détesté non plus ; c’était quand même un excellent personnage.

   Je savais à peu près comment l’intrigue allait se finir, le suspense n’est donc pas ce qui m’a tenue le plus en haleine devant les pages qui défilaient à toute allure. C’est de découvrir les différentes péripéties des personnages, parfois terribles et tragiques. Je ne me suis pas ennuyée une seule fois lors de ma lecture, et j’ai souvent été surprise. Si je savais le dénouement, je n’avais aucune idée du comment.

   J’ai aussi beaucoup aimé le style de Thomas Hardy. C’est clair, fluide et beau. Ses descriptions, si elles ne sont pas énormément longues, sont vraiment très belles et on s’imagine très bien les scènes, les paysages et les personnages. Et puis, c’est drôle. Le narrateur intervient plusieurs fois dans le récit avec des commentaires sur les personnages et, souvent, cela m’a fait rire, sourire ou m’a émue. On a donc clairement le point de vue du narrateur, qui est peut-être celui de Hardy même, sur le sentiment amoureux et ses différentes nuances. En effet, on ne traite pas dans ce récit d’un seul sentiment amoureux universel, mais bien de différentes sortes d’amours et de passions à travers des réactions très différentes de ces quatre personnages. Je crois que c’est ce dernier point qui m’a le plus plu dans cette lecture, et surtout, qui m’a le plus touchée.

   Je recommande ce roman à toute personne aimant des personnages fouillés et une psychologie nuancée qui se découvre au fur et à mesure. J’ai hâte de lire un autre roman de Thomas Hardy, même si j’ai cru comprendre que ses autres œuvres s’inscrivent souvent dans un registre bien plus sombre des sentiments humains ; ce qui est loin de me déplaire.

 L&C

Pour célébrer le mois de l’amour, quoi de mieux que de lire une histoire d’amour ?

41F8JKY1GZL._SX291_BO1,204,203,200_  J’ai lu au mois de février deux livres, deux histoires d’amour que tout oppose. La première n’est autre qu’un très célèbre roman de la littérature portugaise L’amour de perdition de Branco. Je ne connaissais pas grand-chose de la littérature portugaise et la préface m’a d’ailleurs permis de dessiner quelques repères. Nous sommes au XIXe siècle et le romantisme siège dans les livres et les cœurs. Amour de perdition n’est autre que l’histoire d’un jeune homme et d’une jeune femme, tous deux issus de grandes familles, qui échangent un regard … et voient surgir en leur sein la fatale flamme de la passion… Cela n’est pas sans rappeler la plus célèbre des histoires d’amour impossible, Roméo et Juliette du poète Shakespeare. On retrouve une trame semblable et des éléments similaires mais à la sauce méditerranéenne si j’ose dire ! Branco use d’une langue pleine de poésie, une langue pleine de sincérité pour évoquer les profonds sentiments amoureux qui animent les trois protagonistes… eh oui… Car aux deux amoureux s’ajoute une jeune fille qui, grâce à son amour dévoué, aidera le jeune homme. Ce sont trois personnages sublimes pour lesquels le lecteur éprouve beaucoup de compassion. Ils sont tous trois dignes et emplis de grands sentiments. Néanmoins, l’auteur parvient à glisser entre ces moments qui serrent le cœur, des passages plus légers où il ne se prive pas de donner son avis. C’est un beau mélange romantique, entre sublime et grotesque. Cette œuvre est loin d’être un simple pastiche d’une histoire déjà très connue mais une œuvre magistrale de la littérature portugaise.

   9782253057604-001-TAutre époque, autre histoire d’amour, j’ai également lu Carol de Patricia Highsmith. Il s’agit de l’histoire d’un coup de foudre entre une jeune employée de magasin, Thérèse, et une cliente quadragénaire, Carol. Entre road trip américain et bouffées de cigarettes, on suit l’évolution de leur relation. Il s’agit d’une très belle histoire d’amour et le personnage de Carol est des plus charismatiques. Néanmoins, au sortir de ma lecture, je reste toujours autant choquée par le traitement infligée aux homosexuel-les, notamment lorsqu’ils/elles ont des enfants, au milieu du XXe siècle… Ce n’est pas si loin de nous et pourtant… L’œuvre a d’ailleurs fait grand scandale à sa sortie mais l’auteur a reçu beaucoup de courriers d’homosexuel-les la remerciant pour l’aide qu’elle leur avait apportée, en leur montrant qu’on pouvait avoir une autre sexualité et être heureux. Merci à Patricia Highsmith d’avoir simplement écrit une belle histoire d’amour !

Cocolanoix

 

Un pied robotique, une princesse perdue et de la mécanique

A New Beijing, Cinder est une cyborg. Autant dire une paria. Elle partage sa vie entre l’atelier où elle répare des robots et sa famille adoptive. A seize ans, la jeune fille a pour seul horizon les tâches plus ou moins dégradantes qu’elle doit accomplir pour ses sœurs et sa marâtre.
Mais le jour où le prince Kai lui apporte son robot de compagnie – son seul ami -, le destin de Cinder prend un tour inattendu. La forte attirance qu’éprouvent le beau prince et la jeune cyborg n’a aucune chance de s’épanouir, surtout que le royaume est menacé par la terrible reine de la Lune !
Débute alors pour Cinder une aventure incroyable, où elle découvrira que le sort de l’humanité est peut-être entre ses mains.

   Après en avoir entendu parler un peu partout en bien, j’avais très envie de lire Cinder de Marissa Meyer, ainsi que l’ensemble de la série. Un mélange des contes de mon enfance et de science-fiction ? J’étais curieuse de savoir ce que cela pouvait donner. Donc, lorsque le livre a été annoncé comme la lecture de janvier du book club Le club des rats de bibliothèque, j’ai été ravie et j’ai sauté sur l’occasion pour l’emprunter à la médiathèque. J’ai apprécié ce premier tome, bien qu’il ne m’ait pas transporté et, qu’au final, il n’ait rien d’exceptionnel. Je l’ai trouvé sympathique et l’assimile à une lecture détente.

   Le gros point positif de ce roman, c’est le fait que la réécriture du conte de Cendrillon en elle-même soit très bien faite. Les éléments clés du conte sont très bien utilisés au sein de l’intrigue principale. L’auteur a su se les approprier d’une manière bien à elle, parfois un tantinet ironique comme la scène du bal où Cinder est loin d’être la plus belle ou l’élément du pied robotique à la place de la pantoufle de verre, qui m’a plutôt bien plu. Ainsi, la réécriture en soi est très bien pensée et c’est ce que j’ai préféré découvrir. L’intrigue principale, le fil rouge que l’on voit se mettre en place dans ce premier roman et qui continueras très certainement de se développer dans les prochains, est l’élément qui coince un peu. Dès le début on devine l’élément le plus important sur lequel repose tout ce premier tome, ce qui est légèrement embêtant dans l’appréciation de la lecture. Si cela avait été partie intégrante du conte d’origine, le manque de subtilité et de suspense aurait peut-être été plus facile à comprendre. Cependant, malgré le fait que l’on devine à peu près toute l’intrigue du livre, je voulais tout de même voir comment cela allait se mettre en place, notamment autour des éléments du conte d’origine, qui sont eux très bien menés. C’était alors tout de même plaisant de lire ce livre, bien que le plaisir soit un peu détaché et que l’histoire en elle-même ne me transcende pas par sa simplicité et sa transparence.

   Les personnages, bien qu’ils ne soient pas énormément creusés et complexes, sont aussi un atout de ce premier tome. Ils sont attachants et n’ont pas du tout la dimension agaçante qu’aurait pu leur donner le statut de personnages de conte. Ainsi, ils sont tout de même nuancés et agréables à suivre. Le fait que la relation entre Cinder et le prince Kaito ne soit pas pleine de niaiserie est aussi un élément qui m’a agréablement surprise. J’avais très peur du personnage du prince, mais il s’est révélé intéressant au fil des pages. Celui de Cinder aussi m’a bien plu : on retrouve la jeune fille un peu soumise à sa famille adoptive et rêveuse du conte, mais elle sait aussi prendre ses décisions et faire preuve de courage. J’ai apprécié le fait qu’elle ne tombe dans aucun extrême, ni complétement fragile et soumise, ni rebelle badasse qui fonce dans le tas. Cela la rend beaucoup plus authentique et réaliste. J’ai bien aimé la reine Levana aussi, qui est, elle, le reflet parfait de la méchante reine et sorcière qui peuple beaucoup de contes. On ne sait pas grand-chose d’elle ; elle est cruelle pour le simple plaisir d’asseoir son autorité et ça me va. Sa figure menaçante et la présence tout le long du roman de la lethumose, une maladie mortelle, donne à l’univers de l’auteur un côté froid et dur qui n’est pas sans faire penser à la cruauté qui ressort des véritables contes d’origines.

  Ce qui m’a pas mal déçue c’est l’univers. J’ai trouvé le monde de Cinder très intéressant mais pas assez creusé. J’aurai aimé qu’il soit bien plus exploité et surtout bien plus décrit. L’intrigue se déroule dans une ville immense, mais on n’est vraiment familiarisé qu’avec trois lieux : l’appartement de la famille adoptive de Cinder, son établi où elle reçoit ses clients et le palais, surtout via les laboratoires. Alors je sais que dans les contes, les lieux sont censés être flous pour renforcer le côté merveilleux et magique ; cependant l’auteur nous fait miroiter un univers qui pourrait être complexe et très bien construits avec un système et une histoire propre à lui, mais on en voit que de légers éléments. De plus, ce rapprochement entre le monde du roman et le conte me semble un peu douteux, car le merveilleux n’est pas franchement présent. Les « pouvoirs » des Lunaires sont expliqués en termes assez scientifiques, et à part cela aucun signe évident de magie. Tout est un minimum expliqué, étant donné que ce n’est plus seulement un conte, mais surtout un roman. Je pense donc que la construction de l’univers aurait pu être un peu plus aboutit. Cependant, ce n’est qu’un premier tome et peut-être que cette dimension est plus développée dans les prochains romans.

   Le style est assez bien construit sans être recherché. Il n’est, à mon sens, pas particulier ou marquant. Je n’ai pas trouvé de plume bien définie propre à l’auteur qui aurait permis de la démarquer et qui aurait pu jouer dans la construction de son univers. Cependant, l’écriture est fluide, très agréable et rapide à lire. Je ne me suis pas ennuyée une seule fois pendant ma lecture et on se laisse prendre assez facilement.

   Cinder fut donc une lecture très sympathique le temps d’un week-end détente. J’ai hâte de découvrir l’appropriation des autres contes par Marissa Meyer, bien plus que l’intrigue principale. Je recommande ce livre à toute personne appréciant les contes ou une lecture sans prise de tête.

L&C

Une femme, un mariage et une bonne critique sociale

L’arrivée de Mrs Helen Graham, la nouvelle locataire du manoir de Wildfell, bouleverse la vie de Gilbert Markham, jeune cultivateur.
Qui est cette mystérieuse artiste, qui se dit veuve et vit seule avec son jeune fils ? Quel lourd secret cache-t-elle ? Sa venue alimente les rumeurs des villageois et ne laisse pas Gilbert insensible. Cependant, la famille de ce dernier désapprouve leur union et lui-même commence à douter de Mrs Graham… Quel drame s’obstine-t-elle à lui cacher ? Et pourquoi son voisin, Frederick Lawrence, veille-t-il si jalousement sur elle ?

   Commençant à  apprécier de plus en plus la littérature anglaise du XIXè siècle, c’est tout naturellement, et avec curiosité, que je me suis procurée La Recluse de Wildfell Hall de la troisième des sœurs Brontë, Anne. J’avoue que l’édition Libretto m’a aussi bien alléché avec son résumé, sa couverture et en qualifiant l’oeuvre « d’un des premiers roman féministe ». Et je n’ai pas du tout été déçue. J’ai complètement été  emportée par l’histoire et les personnage pendant quelques jours.

   C’est d’abord les deux personnages principaux qui m’ont conquise. J’ai adoré Helen Graham. C’est une personne forte, déterminée et pourvue d’un grand altruisme. On découvre réellement la teneur et la profondeur du personnage dans la seconde partie du roman, qui est tout simplement son journal. Quand à Gilbert Markham, bien qu’il pouvait m’agacer parfois dans la première partie, je l’ai aimé au fur et à mesure de son évolution dans l’histoire. On découvre un personnage impulsif, affectueux, respectueux et surtout, passionné. Une passion que refrène tant bien que mal la mystérieuse locataire du manoir, en grande partie délabré, de Wildfell Hall, ce que ne comprend pas du tout le pauvre Gilbert. Les péripéties de leur relation m’a ravie, de part l’évolution progressif de leurs sentiments amoureux respectifs, d’autre part parce que je n’étais vraiment pas sûre de la conclusion de leur hitoire jusqu’à la toute fin du livre.

   J’ai aussi savouré la palette de personnages et de relations qui se tissent en toile de fond. Certains sont proprement insupportables, d’autres attendrissants. A travers eux, c’est une véritable critique à l’encontre des rumeurs et des commères qui véhiculent préjugés et méchanceté. C’est aussi l’hypocrisie que semble montrer, à mon sens, Anne Brontë du doigt et notamment la découverte progressive de cette hypocrisie qu’on ne décèle pas au premier abord et qui peut nous charmer. Je pense ici aux personnages d’Eliza Millward et de Lady Lowborough que j’ai adoré haïr. Mais d’autres sont absolument adorables. La richesse de la panoplie des personnages est aussi due à la superposition de deux histoires : la première est celle de la relation entre Helen et Gilbert et la seconde, confiée par le journal personnel de la jeune femme, se porte sur la nature du lien qu’Helen partage avec son premier mari, Arthur. Le journal dévoile alors un rapport passionnant entre Mrs Graham et Arthur dans une atmosphère très différente du  début du roman.

  Moderne et féministe, ce roman l’est en effet. Brontë épluche allègrement la place de la femme dans la société victorienne. On y montre l’indépendance à jamais inaccessible pour ces dames qui sont placées sous tutelle tout au long de leur vie : père, mari, frère et fils seront toujours présent. Mais c’est surtout sur la question du mariage que le roman va se pencher. Ainsi, l’égoïsme, la manipulation et la maltraitance psychologique au sein du couple va être blâmé. Et tant les hommes que les femmes sont accusés de ces défauts. Mais le modernisme étonnant de l’oeuvre passe aussi par les opinions et les valeurs d’Helen, notamment sur le plan de l’éducation. Elle ne comprends pas la différence de traitement que l’on pourvoit aux « délicates et fragiles petites filles » et aux « garçons qui ne doivent pas se transformer en poule mouillée ». J’ai beaucoup aimé tout ce côté-là, qui a contribué à toute l’affection que j’ai ressentie pour Helen. Cependant, j’ai juste été un peu agacée par le fait qu’il y avait une certaine dimension « soit tout noir, soit tout blanc » pour certains personnages ; mais cela peut s’expliquer à travers la pleine subjectivité qui règne tout au long du livre. En effet, les deux narrateurs sont respectivement Gilbert et Helen, et l’on a pas du tout le point de vue des autres personnages. Ce qui va d’ailleurs jouer des tours au deux personnages principaux.

   J’ai aussi beaucoup apprécié la forme du roman. Le style est très bien construit, fluide et parfaitement prenant. Les deux histoires qui finissent par s’entremêler m’ont autant plu et captivée l’une que l’autre. Les changements de points de vue et de supports grâce au journal et à des lettres, intégrés au récit de Gilbert, rendent la lecture intéressante. Cependant, j’ai trouvé quelques longueurs à la fin de la seconde partie, mais c’était peut-être dû au fait que j’étais impatiente de retrouver Gilbert et, surtout, de savoir le fin mot de son histoire.

   J’ai donc énormément aimé ce livre dont l’histoire et les personnages m’ont transportée. Je le trouve aussi très abordable pour les personnes craignant la littérature anglaise victorienne ou tout simplement les classiques, ainsi que pour tout les amoureux de l’époque.

L&C